À quelques jours de la célébration de la Nativité, la liturgie nous fait contempler l’attitude de ces deux fiancés exceptionnels que sont les futurs parents du Sauveur. Les engagements respectifs – et bientôt conjugués – de ces deux libertés personnelles vont permettre à la plus grande révolution spirituelle de l’humanité d’avoir lieu.

Homélie

La méthode Saint Joseph

22 DÉCEMBRE 2013 – IV° Dimanche de l’Avent

À quelques jours de la célébration de la Nativité, la liturgie nous fait contempler l’attitude de ces deux fiancés exceptionnels que sont les futurs parents du Sauveur. Les engagements respectifs – et bientôt conjugués – de ces deux libertés personnelles vont permettre à la plus grande révolution spirituelle de l’humanité d’avoir lieu. Nous n’aurons jamais fini de rendre grâce à leur sujet, mais également de méditer sur leur exemple. Je voudrais vous proposer de regarder la façon dont saint Joseph s’y prend pour réaliser le dessein de Dieu. L’Évangile que nous venons d’entendre (Mt 1, 18-24) recèle une méthode de discernement qui mérite vraiment d’être connue, car elle pourrait nous inspirer dans bien des situations. Qu’il s’agisse des grandes orientations de notre vie (la réponse à notre vocation) ou de décisions plus secondaires, la « méthode saint Joseph » s’avère toujours efficace. Elle est principe de progrès permanent, celui qu’indique d’ailleurs l’étymologie de Joseph qui signifie celui qui augmente, qui progresse…

Pour bien situer Joseph, il faut le replacer entre deux personnages, ou plutôt à l’opposé de l’un comme de l’autre. Le premier est un personnage historique, le roi Acaz que nous décrit la première lecture (Is 7, 10-16). Le second est un personnage qu’on imaginera sans peine tant sa posture est commune : nous pourrions l’appeler le « chrétien attentiste ».

Nous verrons ensuite comment l’attitude spirituelle du futur père de Jésus s’écarte singulièrement de ces deux impasses.

Celui qui n’attend rien de Dieu

Acaz est roi au huitième siècle avant Jésus-Christ. C’est le treizième successeur et descendant du roi David. Il a à peine vingt ans lorsqu’il accède au trône de Juda, où il va incarner le pire des opportunismes politiques. Disons que la seule constante de son gouvernement sera un refus obstiné d’écouter le Dieu de ses Pères. Le Seigneur lui envoie pourtant l’un des plus grands prophètes de tous les temps, un certain Isaïe.

L’athéisme de ce chef d’État est, comme toujours d’ailleurs, assorti d’une grande superstition. Aussi cède-t-il aux idolâtries païennes les plus en vogue, vouant une admiration sans borne aux ennemis de son peuple, avec lesquels il pactise tour à tour. Dans l’épisode rapporté à l’instant, on l’entend refuser, avec cynisme, un conseil divin qui eut pu sauver le Royaume de Juda. Pour ce faire, il cite la parole de Dieu…contre Dieu !

Au fond, Acaz est prisonnier d’une ambition qui l’aveugle et le rend sourd. On peut penser à ce que dit saint Augustin au sujet des responsables politiques – et éprouver une certaine compassion si nous en connaissons qui répondent à sa description – : « L’homme bon est libre, même s’il est esclave. Le méchant est un esclave, même s’il est roi ».

À l’intérieur de lui-même, tout responsable qui ne reconnaît aucune transcendance digne d’allégeance devient esclave de ses passions et de ses pulsions. Extérieurement, il est aussi à la merci des autres. Ce double asservissement conduit Acaz à jeter son royaume au fond du gouffre.

Celui qui attend trop de Dieu

En face de cette désolante représentation des choses, nous avons le « bon croyant » tenté de devoir tout attendre de Dieu, donc de tout demander à Dieu, à commencer par des signes pour passer à l’action. La Bible nous enseigne pourtant que les signes du Ciel sont plus à recevoir qu’à exiger. Certains fidèles en attendent et en obtiennent, mais Dieu semble plutôt s’en réserver l’initiative et surtout éduquer progressivement son peuple à conditionner de moins en moins sa foi et ses initiatives à des signes. Une chose est de trouver des panneaux indicateurs sur le chemin, pour nous confirmer que nous sommes ou non sur la bonne route, une autre est de prendre le Bon Dieu pour un GPS, c’est à dire non plus d’être encouragés, mais téléguidés !

Le croyant « attentiste » est en général très pieux. Dans l’attente d’un signal divin, il refuse de se décider. Seconder le Seigneur lui dit bien, mais être envoyé en première ligne comme un grand, lui semble impie.

Si l’attitude d’Acaz (et autres blasphémateurs) était faussement responsable, cet excès opposé est faussement spirituel ! Et à des degrés très divers, il nous guette, lorsque sous prétexte de nous confier à la Providence, nous en venons à oublier que « Dieu a laissé l’homme à son propre conseil » (Si 15, 14).

Le Juste

Entre ces deux postures inappropriées, se situe le chemin du « juste » qu’incarne à la perfection saint Joseph, ultime patriarche d’Israël et témoin de la réalisation des promesses faites à Israël.

La difficulté que rencontre cet homme est celle de devoir réaliser un discernement particulier. Sachant que s’il nous arrive à tous de devoir choisir entre les ténèbres et la lumière, ce qui est relativement simple, le plus compliqué est de devoir se prononcer au milieu de plusieurs voies toutes justifiables… Comme le disait saint Philippe Néri : « C’est toujours une bonne chose de passer du mal au bien, mais pour passer du bien au mieux, il vaut la peine d’y penser davantage. »

Comment Joseph s’y prend-il exactement ? Sa méthode est aussi simple que délicate. Pour la repérer, il faut lire très attentivement les versets 19 et 20. Verset 19 : Joseph, son mari, qui était un homme juste et ne voulait pas la dénoncer publiquement, résolut de la répudier sans bruit…

« homme juste » signifie, au sens biblique, « qui craint Dieu et a le souci d’être ajusté à la volonté du Seigneur »… qui a donc consulté le Seigneur dans la prière… Cette simple mention nous écarte d’emblée de la précipitation irréligieuse d’Acaz. Et cette réflexion le conduit à écarter les options d’une dénonciation publique de sa fiancée ou d’une accélération du mariage et à prendre la décision de s’en séparer discrètement. Contrairement à ce que l’on entend bien souvent, je ne crois pas que cette première décision soit inspirée par la seule Loi du Lévitique, mais par un pressentiment plus profond, éclairé par l’histoire du Salut, qui lui fait sentir que quelque chose de singulier, dont Dieu est la cause, est en train de se jouer. Le devoir de respecter une préséance divine : si Dieu S’est choisi ma fiancée, je dois me démettre…et le faire dans la discrétion qu’impose le mystère…

Or, si le v. 19 nous éloigne d’Acaz, le v. 20 livre une information qui nous éloigne du « croyant attentiste »…

« alors qu’il avait formé ce dessein, voici qu’un Ange… »

Cette simple mention indique que la décision a donc été bel et bien prise par saint Joseph…mais que cela étant, il la tient en suspens… non pas dans l’attente d’un signe, mais dans l’humilité d’une juste décision qu’on voudrait, une dernière fois, présenter au Seigneur…

Or, c’est précisément cette attitude humble et prudente qui va permettre au Seigneur d’intervenir. Nous pourrions dire ceci : c’est parce qu’il donne un signe au Seigneur, et non qu’il en demande un, que Joseph est éclairé !

L’Ange du Seigneur aurait pu avertir directement Joseph, cela lui aurait épargné quelques nuits blanches ! Mais il fallait, me semble-t-il, que Joseph prenne une décision personnelle, à la lumière de sa conscience éclairée pourrait-on dire, pour que, l’ayant prise, le Seigneur puisse la confirmer ou l’en détourner. C’est ce que le Seigneur fait ici en lui disant, en d’autres mots : Tu commençais à te dire que Marie n’était pas ton épouse mais la mienne ? Je te le dis « Ne crains pas de prendre chez toi Marie, ta femme …je te charge de nommer toi-même son fils, car tu seras pour lui un père… »

La méthode de Joseph consiste donc à progresser dans la connaissance de la volonté de Dieu, non pas en attendant un programme tout fait, une série de signes contraignants, mais en commençant à prendre des décisions, à les prendre devant Dieu et à lui laisser le temps de réagir, ce qui est tout autre chose que de tenter Dieu !

Combien de bons chrétiens, aujourd’hui, ont encore du mal à s’engager sous prétexte d’attendre je ne sais quel signe ? Ils feraient bien d’adopter la « méthode saint Joseph » ! Au lieu d’attendre indéfiniment avant de prendre une décision, elle consiste, après avoir mûri une décision, à la prendre. Et s’étant décidé, à attendre pour passer de la décision à l’exécution. Les versets 19 et 20 l’indiquent clairement : pour Joseph, la décision est prise mais il consulte une dernière fois le Seigneur et l’informe qu’il va bientôt passer à l’action.

Par exemple : « Seigneur, je crois que ce désir de devenir prêtre vient de Toi, cela fait un petit bout de temps que cela me trotte dans la tête et j’ai bien réfléchi; mais pour en être certain, je T’annonce que j’ai décidé de rentrer au Séminaire l’année prochaine »…« Pas de réponse, bonne réponse »… ou plutôt « pas de signe, bon signe »… Et chaque année au séminaire : « Sans signe que je m’égare, je continue donc sur ce chemin… » Et ultimement, à condition d’être vraiment resté à l’écoute chaque jour, le signe et la confirmation de l’appel seront donnés au nom du Seigneur par l’Église à travers les appels mineurs et l’Ordination finale !

Évidemment, vous pourriez prendre d’autres exemples, ne serait-ce que celui des fiançailles qui laissent un temps entre la décision et l’exécution. Un temps digne de la méditation de Joseph rapportée par l’Évangile, une période suffisante durant laquelle Dieu a la liberté d’exprimer sa confirmation ou son désaveu.

La méthode de saint Joseph est celle des justes : tout simplement de ceux qui veulent s’ajuster à la volonté du Seigneur ! Pour ce faire, elle révoque aussi bien la précipitation du monde que l’attentisme «pieusard» ! Elle indique comment devenir d’authentiques hommes d’action qui avancent doucement mais vraiment, sans cesser d’accueillir les instructions d’un Dieu qui préfère nous accompagner plutôt que nous devancer. Elle consiste à prier parce que tout dépend de Dieu et à entreprendre comme si tout dépendait de nous.

Force est de constater, en tout cas, que c’est avec de telles âmes que le Seigneur a pu réaliser le dessein miséricordieux dont nous allons fêter l’Avènement après-demain soir… Et c’est en suscitant, encore aujourd’hui, de telles âmes, que Son Règne continue de s’étendre, que l’Incarnation du Fils de Dieu se prolonge dans le monde, que le Corps de Jésus, cette Église dont nous sommes les membres, ne cesse de grandir en sagesse et en grâce, sous le regard bienveillant de Joseph et de Marie ! Amen.