Celui qui sème le bon grain, c’est le Fils de l’Homme.
Le champ, c’est le monde.
Le bon grain, ce sont les fils du Royaume.

Matthieu XIII, 37-38

Jésus appelle «fils du Royaume» ceux qu’Il a fait renaître de l’Esprit par le don du saint baptême. Devenir chrétien revient à avoir changé de nationalité : à avoir quitté l’empire du Diable − auquel tout être vivant est soumis par sa naissance naturelle− pour le Royaume de Dieu. Une intégration bien plus qu’administrative : il s’agit d’une incorporation au sens le plus fort de ce terme, à la façon  d’une greffe ! Saint Paul invite sans cesse les disciples du Christ à bénir le Père pour ce transfert invisible mais bien réel : « Avec joie, vous remercierez le Père qui vous a mis en mesure de partager le sort des saints dans la lumière. Il nous a en effet arrachés à l’empire des ténèbres et nous a transférés dans le Royaume de son Fils bien-aimé, en Qui nous avons la rédemption, la rémission des péchés ».

Qu’une telle mutation soit non seulement possible, mais nécessaire pour le salut est difficilement recevable aujourd’hui. L’homme contemporain estime plutôt que , par défaut, tout homme vient au monde dans un no man’s land spirituel, une zone neutre. La religion, les croyances et la foi relèvent du choix individuel, parfaitement optionnel. Lui-même est sincèrement convaincu d’agir en homme libre. Que le monde gise sous le pouvoir du Mauvais (1 Jn 5, 19) lui semble relever d’une vision médiévale que lesdites Lumière du progrès ont su dissiper dans la plupart des cultures avancées.

Les fils du Royaume eux-mêmes ont tôt fait d’oublier le mystère de leur condition qui fait que «dès maintenant ils sont enfants de Dieu». Ce qu’ils sont en vérité «n’ayant pas été encore manifesté» (1 Jn 3, 2), le monde ne tarde pas à les distraire de leur vocation divine, à moins qu’une foi informe les fasse tomber dans la présomption : « Beaucoup viendront du levant au couchant prendre place au festin avec Abraham, Isaac et Jacob dans le Royaume des Cieux, tandis que les fils du Royaume seront jetés dans les ténèbres extérieures : là seront les pleurs et les grincements de dents. » (Mt 8, 12). 

En, effet, à qui il a été beaucoup confié, il sera beaucoup demandé. Les fils du Royaume sont appelés à ensemencer le monde, telles de bonnes graines. Cela suppose de rechercher et demeurer dans la bonne terre pour y mourir pour porter du fruit. C’est à eux que Jésus déclare « Je vous ai déposés pour que vous alliez et portiez du fruit et que votre fruit demeure » leur enjoignant de former « peuple ardent à faire le bien » (Tt 2, 21). Qu’ils se souviennent d’avoir été choisis alors qu’ils étaient « sans force », « pécheurs » et même « ennemis » de Dieu (Rm 5, 6.8.10) pour devenir « saints et immaculés, en sa présence, dans l’amour » (Ep 5, 4-5).