Quand Dieu (Se) manifeste.

Homélie

La Manif de Jésus

Dimanche 13 janvier 2019 · Baptême du Seigneur

Qu’est-ce qui peut motiver des personne à organiser ou à participer à une manifestation ? La plupart du temps, la volonté de rendre visible et audible un message important, qu’on estimé injustement relégué au second plan…

En revêtant un vêtement fluorescent, les « gilets jaunes » cherchent à révéler l’existence d’une partie de la population en souffrance… Dans quelques jours la « Marche pour la Vie » donnera la voix à aux sans voix, ces êtres étouffés dans le sein de leur mère. Dans tous les cas, il s’agit d’attirer l’attention afin de faire connaître une vérité, une cause. Ce mode de communication, du côté des hommes, est très ancien et quasiment universel.

On peut se demander si Dieu se montre sensible à ces manifestations personnelles ou communautaires ? Est-ce qu’un pèlerinage, par exemple est une forme de « manif religieuse » destinée à toucher le Cœur de Dieu ? Assurément, elle Lui est même destinée en premier lieu, même si par la même occasion, elle représente un témoignage donné au monde.

Dans l’autre sens, Dieu utilise-t-Il ce mode de communication pour nous faire parvenir un message ? La tradition prophétique nous le confirme aussi ! La manifestation est un langage de la foi et de l’amour entre Dieu et les hommes ! La commémoraison du baptême de Jésus aujourd’hui nous permet de souligner la valeur des démonstrations rituelles inspirées par le Seigneur, qui donnent à rendre visible et audible un message important, qu’il s’agisse d’une communication faite par Dieu à l’homme ou que l’homme désire présenter à Dieu !

Le récit que saint Luc vient de nous rapporter, n’est rien de moins que la première « Manif de Jésus » !

Année C
Luc 3, 15-22

La manifestation du Fils

Mais une manif au milieu de la manif.

D’abord, la foule pénitent et anonyme est en train de procéder à une manifestation religieuse destinée au Seigneur. Le rite consiste en un plongeon sacré en signe d’humilité et de pénitence. Jésus rejoint la manif, se coule dans cette démarche communautaire et publique. Avec ses coreligionnaires, Jésus aussi vient dire à Dieu : « Me voici », « Je me prépare à l’avènement du Royaume ».

Avec ceci de singulier que Celui qui déclare en ce geste se préparer à l’avènement du Royaume, est Le Royaume en personne. Et surtout que Celui qui rejoint la manifestation des hommes à Dieu provoque, en cet instant, la manifestation de Dieu à l’homme – une théophanie.

S’il est bien un homme, dans toute l’Histoire qui n’eut pas besoin de se manifester au Père de cieux, c’est son Fils éternel ! Il est avec le Père et le Père est avec Lui. Il n’y a, assurément, aucune nécessité de son côté.

Il faut donc en déduire que sa descente dans les eaux du Jourdain est accomplie pour nous, qu’Il rejoint la manif pour nous… ce que confirme la manifestation immédiate du Père à notre égard.

En quoi était-il important pour nous que le Fils se manifestât… au sein d’une manifestation religieuse humaine ?

Peut-être pour souligner l’importance qu’auront toujours, aux yeux de Dieu, les manifestations religieuses ? Tous ces actes concrets dont Il peut être à Lui-même à l’origine, mais qui son laissés à notre initiative ; qui engageant notre liberté provoquent l’ouverture des vannes du Ciel ?

Le Seigneur semble se laisser toucher par les rites qui disent, à travers un mouvement sensible, les plus nobles aspirations de l’âme. En recevant le baptême de Jean, Jésus paraît confirmer la religiosité liturgique et inaugurer la pratique des sacrements de la Nouvelle Alliance qu’Il s’apprête à instituer.

À la lumière du mystère du Baptême de Jésus, nous pouvons regarder ce que représentent les sept sacrements dans la vie de l’Église, en tant que manifestations rituelles.

Institués par Dieu, ces dons divins assument une dimension démonstrative chère au coeur de l’homme. Les sept sacrements sont autant de manifestations de l’homme signalant au Seigneur sa volonté de bénéficier de sa grâce.

Dans son respect déconcertant de la liberté humaine, le Père veut en effet nous voir signifier notre désir d’être sauvé. Sans l’épuiser en elles, Il conditionne son intervention habituelle¹ à ces manifestations concrètes sans lesquelles Il Lui semblerait nous forcer la main.

¹ Étant bien entendu que le principe « Dieu a lié le salut au sacrement du Baptême, mais Il n’est pas Lui-même lié aux sacrements » (Catéchisme de l’Eglise Catholique n°1257) s’entend de façon plus générale, à la toutes les grâces divines.

Un septénaire de manifestations

Regardons chacun de ces sept dons dans cette perspective…

Le Baptême : en me présentant (ou en présentant mon enfant), je sollicite l’adoption divine, je demande la nationalité céleste ! Ma venue en ce monde ne suffit par pour devenir citoyen du Ciel. L’exorcisme et l’illumination de l’être humaie ne se réalisent que moyennant la nouvelle naissance dans l’eau et l’Esprit préconisée par le Sauveur !

La Confirmation : je manifeste que j’ai besoin d’être affermi dans l’Esprit pour avoir l’audace de témoigner de ma foi en ce monde ; que j’ai besoin de son inspiration et de son assistance pour ouvrir ma bouche !

Le Mariage : nous manifestons que nous ne souhaitons pas que notre alliance reste étrangère à Dieu, nous demandons que notre alliance s’inscrire dans la sienne ! Nous demandons à ce que notre amour humain naturellement limité soit connecté à la source infinie de l’Amour trinitaire !

Le Sacrement des Malades : alors que je sens l’ombre de la mort planer, je demande l’absolution complète et la force de lui résister ou de la franchir pour la dépasser et entrer dans la Vie !

La Confession : je manifeste oralement, par l’aveu, que j’ai besoin d’être libéré du poids de mes fautes ! Je manifeste ma misère pour que me soit manifestée la Miséricorde !

La Communion : en m’approchant de la Table Sainte, je montre au Seigneur combien j’ai besoin de sa présence et je le prie de me sanctifier au contact de son Corps ressuscité !

Bref, en chacun de ces actes, nous permettons à Dieu de nous bénir. De nous dire : « Celui-ci est mon Fils / ma fille bien-aimé(e) en qui je trouve ma joie… ma joie de l’adopter, de l’absoudre, de le nourrir, de sceller son amour… » !

« Ma joie, semble nous dire le Seigneur, c’est de voir que mon enfant n’a pas honte de dépendre de moi et de solliciter ma grâce ! Alors Je fonds sur lui, comme un aigle². »

Bref, en chacun de ces actes, nous permettons à Dieu de nous bénir. De nous dire : « Celui-ci est mon Fils / ma fille bien-aimé(e) en qui je trouve ma joie… ma joie de l’adopter, de l’absoudre, de le nourrir, de sceller son amour… » !

« Ma joie, semble nous dire le Seigneur, c’est de voir que mon enfant n’a pas honte de dépendre de moi et de solliciter ma grâce ! Alors Je fonds sur lui, comme un aigle². »

C’est dire qu’il serait bien peu chrétien de s’estimer dispensé de manifestation, exempt de démarche ! De jouer au pur esprit : « Pas besoin d’eau, pas besoin de prêtre, pas besoin de confession, pas besoin de déclaration d’amour dans une église… »

Assurément, Dieu nous connaît et sonde nos désirs mieux que nous-mêmes. L’homme n’est pas l’ange. Le Créateur bénit les démarches religieuses tangibles !

En contemplant le Verbe Incarné assumer l’inspiration et la bienfaisance du rite du baptême au Jourdain, il nous semble Le voir consacrer l’importance des gestes religieux et bientôt… des sacrements et des rites qu’Il léguera à travers ses Apôtres, à son Église.

² « La faute à peine sortie de nous, il suffit d’un regard, d’un signe, d’un muet appel pour que le pardon fonce dessus, du haut des cieux, comme un aigle » G. Bernanos, Journal d’un Curé de Campagne

Le caractère public des manifestations

Ajoutons une dernière remarque qui n’est pas anodine. Tous ces signes sont donnés et reçus plus ou moins publiquement. C’est ce que nous appelons la « liturgie », littéralement le « culte public ».

En effet, Dieu ne conçoit pas le salut de l’homme de façon absolument individuelle. La conversion d’une personne embellit l’Église entière ; la déchéance d’un membre enlaidit le corps. L’humanité est solidaire dans le bien et dans le mal. Ainsi, le baptême du Christ ne s’est pas déroulé dans la salle d’eau d’une maison privée, mais au milieu de la foule en prière. Et c’est heureux, car sans cela nous n’en ferions pas mémoire deux mille ans après !

Les sept sacrements ont tous cette dimension publique : le mariage se célèbre portes ouvertes, la communion eucharistique est un acte public (« communier » c’est dire quelque chose publiquement)…

Vous me direz peut-être que tout de même, il y a un sacrement qui échappe à cette règle, c’est la confession, qui est un aveu privé ? Pas tout à fait. Jésus n’a précisément pas prévu que le pardon des fautes fut demandé dans la stricte solitude, Il a donné pouvoir à ses Apôtres de « remettre les péchés » (c’est-à-dire de les absoudre)³. À chaque fois que je vais voir un prêtre pour me confesser, je dépasse l’approche individualiste de la question. J’accueille la médiation de l’Église voulue par Jésus. Dans le prêtre c’est Jésus qui m’absout, mais c’est non moins l’Église qui me pardonne en son Nom. Le ministre assure le caractère public de la manifestation.

³ «Recevez l’Esprit Saint. Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis» Jn 21, 23

À l’école de Jésus, osons manifester !

Alors, osons manifester ! Manifester avec toute l’Église (convoquée en tout sacrement, même le plus intime) à Dieu le Père, à travers tous les rites institués par le Sauveur, en commençant par les sept sacrements, notre désir de recevoir sa grâce ! Osons plonger dans le fleuve qui jaillit de son Cœur comme un nouveau Jourdain, toujours accessible !

Se manifester en privé n’est pas sans valeur (Jésus le dit ailleurs³) mais il y a des limites. À quoi rimerait de porter un gilet jaune dans son appartement ? À quoi rimeraient les belles déclaration sur le premier droit de l’Homme, celui de la vie, sans battre le pavé une fois l’an ?

La vie spirituelle la plus intime qui soit est appelée à se manifester ! Le baptême de Jésus, cette ablution publique, est en quelque sorte l’épiphanie de Nazareth, l’extériorisation d’un dialogue initié dans l’intimité de la Sainte Famille… mais qui ne devait pas rester une affaire privée,… heureusement pour nous !

3. «Quand tu pries, retires-toi dans ta chambre, ferme sur toi la porte et prie ton Père Qui est là, dans le secret ; et ton Père, Qui voit dans le secret, te le rendra» (Mt 6, 6)

La vie chrétienne ne consiste pas à faire sa petite cuisine en secret. Dieu nous appelle à rejoindre humblement son peuple, à faire corps dans une démarche commune que représente bien, d’ailleurs, l’assemblée que nous formons en cet instant. Ce faisant, Il veut nous garder dans la vive conscience de devoir nous convertir pour bien davantage que le salut de notre seule peau : pour celui du monde ! 4 Et dans l’humble conscience de ne pouvoir y parvenir tout seul, mais de pouvoir compter sur tant de frères et de sœurs, tous enfants d’un même Père.

Avec confiance, à la suite de Jésus, entrons dans le dessein miséricordieux du Père.

Encourageons-nous les uns les autres à ne pas nous contenter de mettre un orteil dans le grand fleuve… mais à vraiment y plonger !

Aidons les plus petits à rejoindre le grand bain ; laissons-nous entraîner par les saints qui y barbotent déjà !

Venons recevoir les dons que Dieu nous réserve : il n’attend qu’une manifestation de notre part pour nous bénir, encore et encore, pour nous dire, inlassablement, depuis le Ciel entrouvert : « Celui-ci est mon enfant bien aimé, en qui je trouve ma joie » !

Oui, faisons ainsi la joie de Dieu ! Amen.

4. «Toute âme qui s’élève éléve le monde» Elisabeth Leseur