«Vous Me verrez vivant, et vous vivrez»

17 mai 2020 – VI° Dimanche de Pâques

Vous connaissez sans doute ce mot – qu’on sera en droit de trouver moyennement drôle dans le contexte liberticide actuel : « La question n’est pas tant de savoir s’il y a une vie après la mort, mais s’il y a une vie avant la mort » !

Si la réponse à cette question était évidente, le Fils éternel aurait-Il pris la peine de s’incarner, de vivre, de mourir et de ressusciter, après nous avoir suppliés, comme nous venons de l’entendre à l’instant, d’entrer dans la Vie au cours de cette existence ?

Au contraire, le Seigneur n’a cessé de confirmer ce que chacun peut pressentir en écoutant le fond de son cœur, l’intuition selon laquelle il est malheureusement possible d’exister sans vivre vraiment. Difficile de ne pas faire sienne la réplique que Mel Gibson met sur les lèvres de William Wallace « Tous les hommes meurent mais peu d’entre eux vivent vraiment » ou de ne pas comprendre les provocations du jeune Giorgio Frassati invitant ses contemporains à cesse de vivoter pour vivre enfin !

Vivre dans le Christ

« Vivre », selon la révélation chrétienne, consiste à avoir accueilli dans son existence le Ressuscité, à être entré en communion avec Lui par la Foi, pour Le suivre dans l’Espérance et Le servir dans l’Amour. À ce titre, je voudrais plus particulièrement méditer avec vous le verset 19 du chapitre 14 de saint Jean dont nous venons d’écouter un extrait :

« D’ici peu de temps, le monde ne Me verra plus,
mais vous, vous Me verrez vivant, et vous vivrez aussi »

Pour vivre, nous avertit Jésus, il faut Me voir vivant ! Discerner ma présence dans cette période qui court du jour de l’Ascension à celui de la Parousie. Cet âge de l’Histoire où le Seigneur, en effet, n’est plus sensiblement visible ; où sa présence se décèle au moyen de sa Parole, dans les sacrements qu’Il a institués et à travers les effets produits par sa présence vivante dans le cœur des saints, c’est-à-dire les fidèles en état de grâce, en lesquels on peut voir vivre le Seigneur Ressuscité. « Là où les saints passent, disait le Curé d’Ars, Dieu passe avec eux », Dieu se laisse voir ! Un visage irradié de lumière fait deviner la présence d’un soleil…

« Vous verrez que Je vis et alors vous vivrez » : on pourrait définir, à partir de cette parole de Jésus, le point commun de toute conversion, celui qui fait qu’une âme est à amenée à se tourner vers le Seigneur. Qu’il s’agisse d’une première conversion appelant au baptême ou de cette conversion toujours inachevée sensée mobiliser tous les baptisés jusqu’à leur dernier souffle… dans les deux cas, je désigne cette expérience qui consiste à constater que Jésus est effectivement là, vivant. La vie est contagieuse ! Toute conversion est une contagion de vie.

Histoire d’une conversion

Pour illustrer ce verset 19, je voudrais évoquer la conversion, au siècle dernier, d’une femme qui s’appelait Edith Stein. Née en 1891, Edith est la petite dernière d’une famille juive polonaise de onze enfants. Dotée d’un fort caractère, elle ne tarde pas à s’affirmer. Elle se distingue par des études brillantes à l’université – à une époque où le monde académique ne compte pas encore beaucoup de femmes. Après avoir consciemment décidé de vivre en dehors de toute croyance et milité dans des cercles féministes, elle devient assistante du philosophe Husserl, s’engageant à fond dans les études, passionnée par la recherche de la vérité. Puis la Première Guerre mondiale donne à cette quête intellectuelle une touche plus existentielle et tout en achevant de rédiger sa thèse, elle se met courageusement au service d’un hôpital… Un ensemble d’événements apparemment très anodins, sur lesquels je vais revenir, vont se produire alors qu’elle s’est mise lire, dans le cadre de ses recherches philosophiques, le Nouveau Testament.

L’un dans l’autre, mais contre toute attente, elle se convertit et reçoit le baptême en 1922. Mieux – ou pire dirons certains –, elle décide ensuite de devenir religieuse et rentrera au Carmel de Cologne. En 1939, la Gestapo l’arrête, elle est envoyée à Auschwitz pour y être gazée au double motif de son origine juive et de sa foi catholique, ce qui fait d’elle une martyre.

Je voudrais m’attarder sur les événements qui sont à l’origine de sa conversion, de sa rencontre dans la foi avec Jésus : ce qui lui a fait voir que Notre Seigneur Jésus-Christ était bien vivant !

L’Évangile est vivant


En vacances pendant l’été 1921 chez ses amis philosophes et protestants, les Conrad-Martius, Edith prend un soir dans leur bibliothèque l’autobiographie de Thérèse d’Avila, la grande sainte espagnole, réformatrice du Carmel du XVI° siècle. Pendant la nuit, elle la lit d’une traite. En refermant le livre au petit matin, elle conclue : « C’est la vérité… ». Elle vient de comprendre que l’évangile qu’elle avait lu de façon intellectuelle, comme une doctrine plein de sagesse, n’était pas un idéal éthéré mais des paroles de vie pouvant se traduire en actes ! La découverte de la sainteté d’une femme lui fait dire que l’Evangile peut prendre chair, qu’il peut être vivant !

Jésus est vivant

Deuxième anecdote. En passant un jour, par hasard, devant la cathédrale de Francfort, Edith aperçoit une petite dame avec ses cabas à provisions qui entre. Curieuse, elle la suit discrètement…Que peut-on bien faire, en pleine journée et en pleine semaine, dans une église ? Entre deux commissions, cette femme du peuple se rendait, le plus naturellement du monde prier, à genoux, devant le saint-sacrement, pour quelques minutes d’adoration profonde. Et voici le commentaire que l’on trouve dans le journal de la brillante philosophe :

«Ce fut pour moi quelque chose de complètement nouveau. Dans les synagogues et les églises protestantes que j’avais fréquentées, les croyants se rendent à des offices. En cette circonstance cependant, une personne entre dans une église déserte, comme si elle se rendait à un colloque intime. Je n’ai jamais pu oublier ce qui est arrivé (ce jour-là)».

À travers cette observation, Edith comprend que la promesse de Jésus d’être avec nous tous les jours, jusqu’à la fin du monde est pour les chrétiens une parole efficace qui culmine dans le Sacrement de la Présence réelle où il est possible de Le rencontrer. Il est donné de voir à Edith que Jésus est vivant non moins dans le récit extraordinaire de la vie d’une grande sainte que dans la vie ordinaire et discrète d’une paroissienne anonyme. Qui dit présence réelle dit rencontre réelle.

En 2020 ?

Si Jésus était aussi vivant pour chacun d’entre nous, il y aurait donc de nombreuses conversions, les mêmes causes produisant les mêmes effets ! La Vie qu’Il est venu nous offrir continuerait de se communiquer de façon contagieuse !

Malheureusement, la probabilité que cela se produise au Cœur eucharistique me semble s’être considérablement réduite depuis plus de deux mois ! Chacun s’étant carapaté chez soi, la présence réelle souffre plutôt d’une absence réelle, la Parole de Vie… d’un silence de mort. Cela m’attriste d’autant plus que je n’ai jamais vu autant de monde aux alentours de notre église que durant le confinement ! Quel triste spectacle offrons-nous à nos visiteurs : celui d’une maison de Dieu délaissée par ceux qui proclament qu’Il est vivant au milieu de nous. En franchissant la porte restée grande ouverte, les risques d’apercevoir, à travers la prière des fidèles « la sainteté Jésus honorée dans les cœurs » (1 P 3, 15) est relativement minime, nombre d’enfants de Dieu, tétanisés par une peur magistralement orchestrée, préfèrent la surface lisse de l’écran mortifère ! Le résultat est que les poules ont davantage de visites que le Saint-Sacrement.

Dieu merci, par ailleurs, d’autres signes de vitalité offrent de vrais motifs de joie. Je pense au dévouement de nombre de paroissiens dans le service quotidien des pauvres à Notre-Dame de Lourdes et Notre-Dame de la Croix, pour la fabrication efficace de masques, pour le prêt des terrains assuré durant tout le confinement, pour les relais téléphoniques et, depuis mardi, à l’accueil des enfants du Primaire assuré au patronage tous les après-midi grâce à la mobilisation de bénévoles qui ainsi «rendent compte de l’espérance qui est en eux» (1 P 3, 16), en bravant l’héroïsme paresseux prêché par l’Adversaire.

Par pitié, sans rien entreprendre d’irresponsable, dans le respect du bon sens et des normes de sécurité, ne laissez pas la peur avoir raison de votre foi ! Ne vous rendez pas complice de l’esprit anxiogène, laissez vous plutôt conduire par l’Esprit d’audace qui sait conduire ses enfants jusqu’à l’adoration du Dieu vivant ! Retrouvez le chemin de la vie, de la maison de Dieu ! Si le Prince de ce monde tient les hommes dans l’esclavage de la peur, le Ressuscité les visite en leur confinement en leur répétant à chaque fois « La paix soit avec vous !», autrement dit « N’ayez pas peur !», de sortir le bout du nez, fût-ce avec un masque.

«Et vous vivrez aussi…»

« Le monde ne Me verra plus,
mais vous, vous Me verrez vivant,
et vous vivrez aussi »

À force de vivre en présence du Ressuscité, d’honorer sa présence réelle, son Cœur eucharistique, les disciples en viennent à être irradiés de vie. Ce faisant, ils exposent à leur tour le monde, moyennant une bienheureuse contagion de la Vie, à une pandémie de foi, d’espérance et d’amour ! Ils risquent donner à de nombreux hommes et femmes de le désir de goûter à cette vie avant la mort, à cette vie qui défie la mort. À cette vie qu’il serait égoïste de confiner plus longtemps, alors que Jésus est venu nous la donner ou plus exactement nous la confier… pour que tous les hommes puissent l’avoir en abondance, du moins si en témoignons. Amen.

lectio

Actes 8, 5-17

Psaume 65

1 Pierre 3, 15-18

Jean 14, 15-21