Seigneur, donnez-nous des chefs !

Solennité du Christ-Roi – 22 XI 2020

Lectures

Ézéchiel 34, 11-17

Psaume 22

1 Corinthiens 15, 20-28

Matthieu 25, 31-46

sur AELF

Pourquoi Dieu nous fait-il entendre aujourd’hui, par la bouche du prophète Ezéchiel qu’Il va Lui-même prendre les choses en main ?

« Ainsi par le Seigneur Dieu : Me voici Moi-même ! Je vais m’occuper de mes brebis pour veiller sur elles »…

Le Seigneur annonce qu’il va Lui-même partir à la recherche de celles qui se sont égarées, panser celles qui sont blessées, nourrir celles qui ont faim et les rassembler à nouveau !

La réponse se trouve dans les versets qui précèdent le passage que la liturgie nous fait entendre aujourd’hui. Il s’agit d’un triste motif : « Fils d’homme, prophétise contre les bergers d’Israël ! Malheur à eux car ils se nourrissent sur le dos de mon bétail et l’épuisent, sans prendre soin du troupeau ! Les brebis errent ça et là et ceux qui devraient les protéger et les guider ne s’en inquiètent guère… Aussi leur redemanderai-Je mes brebis ». En l’occurrence, Dieu ne se contente pas de dénoncer les mauvais pasteurs, Il prend la direction des opérations pour sauver ses brebis qu’Il aime !

Si Dieu nous fait entendre cette promesse d’assistance immédiate, c’est assurément que que nous en avons besoin d’être rassurés. Et pour cause ! À l’égard des leaders temporels et spirituels, une forme de désenchantement semble avoir gagné les esprits. Où sont passés les chefs ? « On demande des pères !» dirait Philippe Oswald. Du côté politique, les crises semblent s’enchaîner sans répit, érodant la confiance de jour en jour. Du côté de l’Église, les affaires se multiplient en proportion de la hauteur ou l’on parle ; on se croirait parfois revenu aux heures les plus sombres de son Histoire de l’Église et de sa Curie…. Un jeune prêtre me disait l’autre jour « Votre génération a de la chance, elle a eu des grandes figures à admirer !.. ».

Saint John-Henry Newman, théologien et historien qui eut à souffrir de la suffisance de la hiérarchie catholique écrivait déjà avec lucidité :

« Le peuple catholique à travers la chrétienté et tout au long de son histoire fut le champion obstiné de la vérité catholique, ce qui ne fut pas toujours le cas des évêques…Et ceci peut-être afin de rappeler à l’Église…la grande leçon évangélique que ce ne sont ni les savants ni les puissants, mais les obscurs, les faibles et les ignorants qui constituent sa véritable force ».

Pourquoi avons-nous si peu de chefs ? Bien entendu, il en demeure plus d’un, grâce à Dieu ! Mais où sont ceux dont le monde a besoin pour être guidé ? Les Églises conduites ? Pour gouverner le corps et son âme ?

Ezéchiel ne craint pas de nommer l’abus de pouvoir, peut-être ce que l’on appelle le cléricalisme dans l’Église. Bibliquement, il est symbolisé par le bouc, en raison de son caractère injustement dominateur (et souvent peu chaste, par la même occasion). Animal que le Bon Pasteur s’emploie à débusquer et congédier.

L’attitude des mauvais pasteurs, dit le prophète, consiste à tirer profit de sa position et donc prisonnier de soi et de son ambition. Or, l’homme qui n’est pas libre envers lui-même devient presqu’immanquable la proie d’autres conditionnements. C’est ce que nous avions essayé de souligner en célébrant la Toussaint : la sainteté et la liberté s’identifient. Nul n’est plus libre que le saint. Seul un homme donné à Dieu peut se mettre pleinement au service des brebis, avec désintéressement. Sans la liberté intérieure que procure la sainteté personnelle (non celle de son état et encore moins de son rang), le pasteur devient le jouet des courants dominants et notamment idéologiques. Nous n’avons plus de chefs quand nous n’avons plus d’homme libres, tout simplement. Le vrai chef se caractérise par sa hauteur de vue, le petit chef par ses œillères.

Il est frappant d’observer l’incapacité de nombre de responsables d’appréhender les situations et de comprendre les hommes sans prisme idéologique. Le plus efficace étant bien sûr celui de la classification « droite – gauche ». On peut comprendre qu’un journaliste inculte ne sache pas chausser d’autre paire de lunettes, mais qu’une homme chargé de juger et de guider soit encore dans cette illusion du monde ! C’est bien le contraire que ce que fait le divin berger à la fin des temps et que la parabole décrit. Jésus, à l’aune de la seule charité, jaugera les âmes pour les ranger à droite ou à gauche… Le mauvais berger range directement à droite à gauche et cela tient lieu de jugement ! On ne regarde pas le bien accompli ou visé : on range par catégories, selon des critères largement dépassés…depuis un bon demi-siècle ! D’autant que ce travers idéologique est une spécialité française ! Il suffit de regarder un débat à l’assemblée pour voir que ces prismes l’emportent sur l’analyse de fond.

Pourquoi Dieu permet-il que nous éprouvions, ces dernières années, autant de déceptions ? Que les gens se sentent de plus en plus orphelins ? J’aborde cette question car on me la pose très souvent en ce moment et il m’est difficile de ne pas partager le constat d’une «crise de leadership»…

Pourquoi cette difficulté à pouvoir compter sur des personnes ne tiennent la route ? Qui gardent la tête froide et le cœur chaud ? Pourquoi cette carence de vrais chefs, de vigoureux pasteurs ? Avec les conséquences que l’on connait, comme la désaffection massive du vote ou la disparition des engagements durables ? Les causes sont difficiles à analyser, mais je crois, en attendant, que cette « crise du chef » pourrait-être, sinon  salutaire, du moins bienfaisante, comme toute épreuve assumée dans l’espérance peut l’être. Elle nous oblige à relever trois défis immédiats que je voudrais décliner.

Contempler le Seul Chef

Commençons par rappeler cette vérité essentielle : en cette fête du Christ-Roi de l’Univers, ces désillusions nous permettent de nous souvenir que Jésus est « le Chef de notre foi » (He 12, 2) ! Il est venu chercher chacun d’entre nous, comme une brebis égarée. Il est la Vérité en personne, souverainement libre ; prisonnier d’aucune idéologie Il nous jugera à l’aune du seul Amour. Jésus-Christ est le bon, le seul, le vrai « pasteur et gardien de nos âmes » (1 P 2, 25). Or, l’avantage de la crise que nous traversons, c’est qu’elle nous accule à regarder vers Lui, on n’a pas le choix !

La présence de trop d’admirables serviteurs ne risquait-elle pas d’occulter le Maître ? Aujourd’hui, nous sommes préservés – voire purifiés – de formes d’idolâtries ! Nous avons de quoi vaincre nos illusions pour contempler le Christ seul. La situation nous oblige à regarder plus haut.

Regarder la base

Elle nous oblige aussi à regarder plus bas. À nous rendre plus attentifs à ce que la grâce de Dieu accomplit dans la proximité, autour de moi, dans mon quartier, loin des idéologies mortifères, à voir la charité nourrir, accueillir, vêtir, visiter Jésus en ses membres les plus fragiles !

À chaque fois que je prends connaissance d’une triste nouvelle. Par exemple que nous apprenons, une fois de plus, à un niveau où on le l’imaginerait pas – parce qu’il convoque l’exemplarité – telle ou telle corruption morale ou injustice commise, je ne m’attarde pas à en savoir davantage. Je me tourne du côté des brebis qui prennent soin de leurs semblables : l’Église réelle, celle de mon quartier, celle de mon prochain : celle que je peux admirer en chair et en os ! Elle est là, l’Église réelle, celle qui sert. Elle est là la France humble et laborieuse !

Franchement, j’admire la foi et la charité des fidèles laïcs qui ont dû avaler un paquet de couleuvres ! J’apprends de leur discrétion, de leur patience et de leur miséricorde. Je suis édifié par la fidélité de ceux qui restent malgré tout – non sans constater que le troupeau se délite tout de même ici ou là.

On pourrait dire, en somme, que pour aimer l’Église et grandir dans l’Espérance, il faut éviter de s’attarder sur les échelons intermédiaires ! Et regarder vraiment tout en haut Jésus, notre Seigneur et son Église dans le reflet de ses yeux… et la base courageuse des fidèles baptisés !

Prier le Maître d’envoyer des maîtres

Enfin, le troisième défi que cette épreuve pourrait nous enjoindre de relever, consiste à nous souvenir qu’on a les chefs qu’on mérite ! Je ne parle pas de leur élection objective, mais de leur façon de répondre à cet appel divin ou à cette désignation démocratique. Notre prière pour les dirigeants, les évêques, les prêtres… (tous les «chefs de gare» en responsabilité) est essentielle pour les aider à devenir ce qu’ils sont. La misère des temps rend plus légitime que jamais notre intercession à l’endroit des responsables, à commencer par ceux que la Providence à établis.

Nous devons prier pour que Dieu les éclaire, les inspire, leur donne un regard juste qui sache discerner, dans la lumière de la charité, le bien commun à servir et défendre. Certes, nous savons qu’à la fin des temps, le seul Pasteur vraiment légitime, plongera toute l’histoire et chacun de nos vies dans une révélation définitive, aussi juste que miséricordieuse. Mais précisément, toute personne revêtue d’autorité sur terre aujourd’hui devrait se soumettre à celle du Christ Roi pour ne pas juger comme le monde et demeurer dans cette liberté intérieure par laquelle se distingue le vrai chef.

Pour finir, retenons que si les brebis ont le droit de soupirer à la recherche de leur pasteur : Dieu le fait avant nous et assume ces carences qui ne L’empêchent pas de guider son peuple et de prendre soin de chacun. Nous avons le droit d’être déçu de nos élus, de nos gouvernants, de nos responsables en tous genres, de nos prêtres ! Mais nous avons le devoir ne pas laisser l’amertume nous submerger en regardant plus haut, jusqu’à Jésus Roi ! Plus bas, celle de Jésus Serviteur. Et surtout en priant avec plus d’insistance, nous souvenant que les bons guides demeurent une grâce, un don de Dieu.

Prière finale

Seigneur, donnez-nous des chefs !
Pour diriger notre pays, proie de tant de menaces et de divisions…
Pour diriger ton peuple, si inquiet, perdu et déçu…

Infuse ton Esprit de Sainteté et de lumière
dans le cœur de tous les successeurs des rois et des Apôtres !
Dans les élus de la cité temporelle,
dans les élus de ton Église pérégrinante !

Parle, commande et règne, Seigneur
dans l’esprit de tes évêques, de tes prêtres, de tes fidèles en mission !
Apprends-nous à les aimer comme des frères,
à les garder dans notre prière et leur faire confiance !
Surtout, maintiens l’Esprit de communion et paix,
dans l’unité de la foi et de la charité !

Et envoie-nous des hommes et des femmes
libres à l’égard du monde parce pleinement donnés à Toi !
Qui ne craignent rien ni personne,
sinon de ne pas assez t’aimer et de ne pas bien te servir.

Seigneur Jésus, notre Chef et notre Roi,
Nous le croyons Tu n’abandonnes jamais ton troupeau !
Nous Te rendons grâce !
Nous T’adorons et nous Te bénissons
car Tu es fidèle pour les siècles de siècles.
Amen.

homélie