Carpe diem Dei

13 XII 2020 – 3° Dimanche de l’Avent

Isaïe 61, 1-11

Isaïe 61, 10

1 Thessaloniciens 5, 16-24

Jean 1, 6-28

AELF

Je vous disais, il y a quelque temps, qu’on pourrait présenter la « joie chrétienne » comme un chemin qu’on se fraierait à condition de renoncer à deux illusions. D’un côté, l’illusion de la chair, du plaisir recherché comme une fin en soi ; de l’autre l’illusion d’un bonheur absolu accessible ici-bas. Renoncement à ce qui est trop petit, renoncement à ce qui est trop grand au profite de la quête de la vraie joie, à hauteur d’homme ! Il ne s’agit pas de condamner le plaisir,   bienfait inscrit dans la Création, mais à faire en sorte qu’il demeure toujours ordonné à la joie ; il ne s’agit pas d’étouffer notre aspiration au bonheur total, mais au contraire, de l’assumer en préparant son déploiement dans l’infini et pour l’éternité1«Dieu n’aurait pas mis de tels désirs dans notre coeur si ce n’était pour les exaucer» aimait à répéter Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus. Citation exacte bienvenue : si quelqu’un la retrouve, je suis preneur. ! La joie chrétienne demande au plaisir de renoncer à ses prétentions d’indépendance et conjure le désir du bonheur de patienter : elle est réaliste !

Curieusement, pour se la figurer, la liturgie nous invite à contempler le précurseur du Messie, saint Jean-Baptiste. Je dis curieusement car, à première vue, il n’a l’air ni commode, ni sympathique. On l’entend insulter ses coreligionnaires, affublé d’un froc en poil de chameau, observant un régime alimentaire assez dissuasif… Pourtant, il semble qu’une joie singulière l’irradie. Celle qui accompagne la révélation qu’il prêche par toute sa vie : la présence au milieu de nous de Celui que vous ne connaissez pas…et que le petit reste d’Israël attendait.

Je voudrais m’arrêter sur un trait caractéristique de cette joie,  à savoir sa pureté, le cristal dont elle est faite ! La joie chrétienne est pure pour deux raisons : elle laisse passer une lumière qui ne vient pas de celui qui l’éprouve et elle regarde vers le Ciel. Elle sait d’où elle vient et où elle va, elle est située dans la dessein de Dieu. Voyons l’un et l’autre aspect.

Le saint patron des témoins… de mariage

D’abord, comme le dit l’évangéliste, Jean-Baptiste n’est pas la Lumière, mais son témoin. Sa joie consiste plutôt à se laisser remplir de la Lumière pour la hisser sur un lampadaire, selon une image que choisira Jésus, pour brandir ce feu à travers une action de grâce publique. À ce titre, m’est avis qu’il devrait être le saint patron des témoins de mariage. Il est, en effet, celui qui se réjouit pour l’Époux, le Messie Fils de Dieu qui s’est unit l’humanité pour la sauver. En outre, il se réjouit non moins pour l’Épouse, l’humanité égarée et rachetée qui soupirait après son Bien-Aimé, espérant sa visite. La joie du Baptiste est donc totalement décentrée par rapport à lui-même : il est à la noce, mais non la sienne. Celui qui l’aime prend la lumière, est la lumière et cela lui va bien ! Il illustre la recommandation si inspirée de saint Augustin « Toute bonne oeuvre qui s’accomplit nous appartient si nous savons nous en réjouir » ! Jean-Baptiste est traversé par une joie qui le dépasse et son regard embrasse l’univers entier. Il brille d’une Lumière qui l’irradie mais qu’il n’est pas (Jn 1, 6). Le témoignage chrétien consiste à se laisser traverser…

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La deuxième caractéristique de la joie chrétienne consiste à non seulement à se réjouir de ce mystère invisible mais présent, incroyable mais vrai… mais à le rejoindre de toute sa bonne volonté. Kiergaard disait « la pureté, c’est de ne vouloir qu’une seule chose ». Jean-Baptiste veut entraîner Israël et le monde entier à vouloir ce que Dieu veut, à entrer dans le dessein de Dieu, bien au-delà de ce qui nous préoccupe jour après jour. Cet enthousiasme entraîne un décalage avec les aspiration du monde qui semble absorbé par sa propre matérialité…

Jean baptisait en dehors de la ville, à part, en décalage du rythme du monde. Il se réjouissait de son côté, s’étant extrait du siècle. Il fut bientôt rejoint par d’autres disciples communiant à cette joie marginale, mais son motif de joie est comme extérieur à la cité des hommes. C’est important de répéter cela ! Ce qui réjouit les chrétiens est potentiellement rébarbatif pour le commun des mortels ! Il y a des chances que votre prochain soit d’avantage intéressé de partager avec vous ses impressions sur la dernière série Netflix que de parler théologie. J’espère que vous en avez conscience, que ce décalage ne vous étonne pas. Sinon vous êtes mal partis pour intéresser qui que ce soit à ce qui fait votre joie profonde ! Si vous n’avez pas conscience que ce que vous appelez la bonne nouvelle, le monde s’en contrefiche et ne trouve cela ni bon ni nouveau… vous risquez de déchanter.

Qui est décalé, au juste ?

Cependant, c’est à tort que l’on dit que l’Evangile nous décale du monde. En vérité, faut-il le rappeler, c’est le monde qui s’est décentré de Dieu. Le décalage dont nous devons avoir conscience doit être bien compris pour être assumé sans complexe. Il existe une parabole de Jésus qui illustre bien cette méprise. Je la trouve extrêmement savoureuse, presque comique et d’une actualité extraordinaire. Comme il est possible que ceux qui se bornent à écouter pieusement la parole de Dieu du dimanche ne la connaissent pas, puisqu’elle  est lue en semaine, je vous l’offre… avec joie justement :

Jésus déclarait aux foules :
 « À qui vais-je comparer cette génération ?
Elle ressemble à des gamins assis sur les places,
 qui en interpellent d’autres en disant :
“Nous vous avons joué de la flûte,
et vous n’avez pas dansé.
 Nous avons chanté des lamentations,
et vous ne vous êtes pas frappé la poitrine.”
Jean est venu, en effet ; il ne mange pas, il ne boit pas,
et l’on dit : “C’est un possédé !”
Le Fils de l’homme est venu ; il mange et il boit,
et l’on dit : “Voilà un glouton et un ivrogne,
un ami des publicains et des pécheurs.”
Mais la sagesse de Dieu a été reconnue juste
à travers ce qu’elle fait. »

La génération dont parle Jésus est la dernière génération, dont nous faisons partie. Celle qui recouvre cette partie de l’Histoire qui court de la Pentecôte à la Parousie (c’est-à-dire le retour du Christ à la fin des temps). Notre génération est donc assimilée à un groupe de gamins ! Nous sommes ce monde qui refuse de mûrir, qui s’entête capricieusement. Qui fait mine de ne pas avoir entendu la prédication de Jésus, qui n’en fait qu’à sa tête.

Une génération de gamins capricieux

Contrairement à ce que l’on répète un peu facilement, en en citant toujours les mêmes passages, si Jésus bénit les petits enfants et les donne en exemple, son enseignement ne se contente pas de célèbrer pas aveuglement la jeunesse qu’on voit ici assimilée ici à une forme de stupidité. Jésus n’est pas franchement jeuniste ! Il nous assimile avec un humour à un monde d’adolescents attardés qui voudrait imposer un calendrier imaginaire en s’invente des liturgies ludiques. Une « génération de gamins capricieux » qui organise ses propres célébrations, désigne des nouveaux héros appréciés à la mesure du nombre du nombre de followers et de hachtags. Qui somme d’entrer dans sa danse…

Chaque jour est ainsi consacré à plusieurs journées mondiales auxquelles les citoyens du monde son priés de communier…. Le 13 décembre est ainsi la journée mondiale du chant choral, la journée mondiale de la justice (on est tous plutôt pour) et la journée mondiale de la raclette – plus élitiste. Mardi 15, c’est la journée de l’espéranto et celle des Otakus. Et vendredi, c’est la journée mondiale des migrants et en même temps de la langue arabe (correspondance qui a dû échapper à une police de la pensée pourtant zélée). C’est aussi la journée du pull de Noël ! Avec ça, on devrait être occupés toute la semaine… on a vraiment de quoi nourrir sa vie intérieure !

“Nous vous avons joué de la flûte,
et vous n’avez pas dansé.
Nous avons chanté des lamentations,
 et vous ne vous êtes pas frappé la poitrine.”

Pourquoi ne pleures-tu pas avec tout le monde et un badge #jesuisdupont ? Pourquoi cette blague qui fait le buzz ne te fait pas rire ? Regarderas-tu ce soir la cérémonie des césars ?

Le temps de Dieu

Ce que nous dit cette parabole, c’est que le temps de Dieu n’est pas celui des hommes ! C’est que les paroles et le calendrier de Jésus ne sont pas ceux de gamins qui voudraient que le monde tourne autour d’eux ou de leurs lubies.

Et si on choisissait de vivre du temps de Dieu ? À son rythme ? Non pas pour le plaisir d’être en décalage, mais  plus profondément, selon la conviction que ce ne sont pas les chrétiens qui sont marginaux, mais le monde qui a quitté le chemin du salut, en s’étant décentré de son Coeur… ce Coeur du Monde qui est Celui de Dieu. Le cœur d’un chrétien chercher à demeurer en Jésus, en son Coeur et voudrait que ses pulsations restent accordées à celles du Dieu fait homme.

Avent Premier

Sommes-nous vraiment en Avent, intérieurement parlant ? Jouons-nous de ce jeu que nous offre la liturgie préparation aux célébration de la Nativité ? Écoutons-nous la parole que Dieu nous fait entendre au jour le jour, ou du moins la feuille de route pour la semaine, chaque dimanche ? Prendrez-vous le temps d’apprendre un jour l’Alma Redemptoris Mater, l’immémoriale antienne mariale du temps de l’Avent… ou le Rorate ? Avez-vous installé une crèche digne de ce nom ? Vous impliquez-vous dans l’opération Hiver Solidaire lancée dans votre paroisse préférée pour que la célébration de la Venue du Sauveur se concrétise dans la mise à disposition de trois lits pour quelqu’unes des 5000 personnes qui dorment dans la rue chaque nuit dans Paris ? Allez-vous vous lancer dans les missions de rues, histoire de partager ce qui fait notre joie ? Bref, communiez-vous à la volonté du Seigneur en ne voulant, avec Lui, qu’une seule chose en premier lieu ? De cette pureté d’intention procède la vraie joie.

Franchement, si on entrait vraiment dans la nouvelle année chrétienne pour en vivre, au lieu de subir un calendrier de gamins, un calendrier imposé : Black Friday ! Sortie de la saison 3… Comment avez-vous fêté, en famille, entre amis, la nouvelle année chrétienne ? Vous savez, c’était le 29 novembre 2020.… Vous avez mis une belle nappe ? Sortie une bonne bouteille ? Adressé vos vœux à vos frères et sœurs dans le Christ ? Fait un bilan de fin d’année ? Pris de bonne résolutions ? Pris le temps de faire une bonne confession ? Une prière en famille un plus appuyée ? Redécoré le coin prière de la maison ? Ou rien du tout, tandis que l’année civile aura droit à tous les honneurs ?

Comme des païens, nous obéissons aux gamins qui jouent de la flûte sur les places du monde et qui nous ordonnent de danser, de rire, de pleurer à leur rythme… et en donnant une pièce au passage, car le spectacle n’est pas gratuit.

En nous voyant participer de façon aussi docile aux célébration de l’homo festivus, ni eux, ni personne ne risque de soupçonner que nous avons par ailleurs et avant tout, un autres motif de réjouissance, un autre rythme de vie, d’autres sources de contemplation et d’action… que les algorithmes de Google !

Entrer dans la joie de Dieu

Avec audace et liberté, tâchons de vivre du temps de Dieu ! Ne Lui faisons pas l’affront de lui imposer nos humeurs ou les modes du siècle, comme des gamins. Entrons plutôt, comme des enfants de Dieu, dans l’obéissance liturgique à travers laquelle le Seigneur parle au cœur de chacun, où la Providence agit de façon éminente. Face aux événements du monde et plus encore en prenant connaissance des célébrations et les lamentations communes, prenons du recul.. la tête froide et le coeur chaud. C’est dans le contact personnel avec Jésus « répandu et communiqué » en son corps, à travers l’espace et le temps de l’Église que nous voulons trouver notre inspiration quotidienne, que nous voulons éprouver les « sentiments qui sont dans le Christ Jésus »…en renouvelant notre façon de penser (Rm 12, 1) en savourant ses paroles.

Il ne s’agit pas de mépriser, a priori, les réjouissances profanes et mondaines, ni de n pas savoir se réjouir avec ceux qui se réjouissent et pleurer avec ceux qui pleurent, comme le dira saint Paul. Mais il s’agit de refuser d’ignorer la véritable actualité, qui celle de la grâce ! Et à là l’aune de celle-ci d’éprouver ce qui est juste : à la lumière de l’Esprit et des prophéties « discernez la valeur de toute chose : ce qui est bien, gardez-le »… Vient de nous enseigner le même Apôtre. De mettre son honneur à rester branché sur le Cœur de Dieu avant tout ! De ne pas nous laisser de nous repaître de cette joie inépuisable, que nul ne saurait nous ravir et qu’on devrait toujours avoir à cœur de partager, tant qu’il est temps et parce qu’elle dispose au salut !

Dieu nous aime et fait grâce : Il nous a tout donné et ce cesse de tout nous donner en nous donnant son propre Fils !

« Soyez dans la joie, priez sans relâche, rendez grâce en toute circonstance : c’est la volonté de Dieu à votre égard, dans le Christ Jésus »… afin d’être trouvés prêts pour sa venue. Amen.