Au risque de me répéter, il faut bien avoir conscience de que la liturgie du temps pascal nous fait entendre, à dessein, des lectures qui recouvrent deux périodes de la vie de l’Église assez différentes : ce temps mystérieux que les apôtres vécurent entre la résurrection et la Pentecôte, distinct de l’ère à laquelle nous appartenons qui est le temps après la Pentecôte, également appelé temps de l’Église, ouvert par le récit des Actes des Apôtres.

Dire que les sept semaines intermédiaires sont historiques – et donc révolues – ne saurait signifier qu’elles ne nous concernent pas ! Comme le ministère de Jésus Lui-même et tous les mystère de sa vie, ce qui est vécu dans l’Évangile se prolonge dans la vie de l’Église, dans la vie chrétienne, dans la vie des chrétiens… comme le disait le cardinal Journet, grand théologien du mystère de l’Église : « l’Église est en quelque sorte l’Évangile continué ».

L’événement rapporté par saint Jean aujourd’hui (Jn 21, 1-14) se situe précisément dans ce temps mystérieux et constitue la troisième apparition du Ressuscité aux siens. Je ne sais pas si vous goûtez à la fois à la « lumière » et à la « douceur » de ce récit ? Le pittoresque de cette narration est comme une marque divine de l’écriture : saint Jean nous rapporte ces faits sans chercher à nous impressionner ou nous convaincre, avec une pudeur touchante qui est un signe d’authenticité.

Je vous proposer de méditer un seul point, en complément de mon commentaire de dimanche dernier où j’insistais, de façon peut-être un peu trop appuyée, sur le caractère pédagogique des sept semaines du temps pascal ; je voulais dire sur le fait que cette période est finalisée par le Don de l’Esprit à la Pentecôte qui inaugure la mission de l’Église jusqu’à la fin des temps. Autrement dit : toutes les visites du Ressuscité sont orientées à la mission ! Sans rien retrancher de cette affirmation, l’Évangile d’aujourd’hui me permet d’apporter une nuance particulièrement bienvenue dans la situation que nous traversons actuellement

Quelle est l’intention de Jésus lors de cette troisième apparition ? Pourquoi se manifeste-t-Il à ses disciples ?

Aucun enseignement n’est rapporté…. aucune instruction concernant la suite n’est donnée. Juste un coup de pouce pour la pêche, qu’on peut légitimement qualifier de miraculeuse et des grillades sur la plage. Jésus qui appelle ses apôtres « les enfants », le cri du cœur de Saint Jean reconnaissant le Maître et ce repas dont on ne sait rien, sinon qu’il fut l’occasion pour les disciples d’être affermis dans la foi et la connaissance du Christ Ressuscité, vivant, non comme un esprit évanescent, mais bien comme Il n’a jamais cessé d’être : ce chef attentif, bienveillant et aimant qui les rejoint dans leurs besoins les plus fondamentaux, dans leur vie quotidienne. Cette apparition de Jésus Ressuscité est empreinte d’une immense gratuité, si je puis dire et il est important que nous l’entendions pour comprendre la vie de la foi et l’exercice de la prière non pas comme une seule disposition à l’action et l’apostolat, mais comme une rencontre d’amitié. « L’amour, c’est la pure attention à l’existence d’autrui » disait Suenens. Si je me laisse rencontrer par Jésus dans ma prière, ce n’est pas seulement pour faire ceci ou cela, dans l’attente fébrile d’une instruction ou pour satisfaire ma curiosité. C’est simplement parce que ma joie est d’être avec Lui et que sa joie est d’être avec moi. Parce que notre joie est d’être avec Lui et la sienne d’être avec nous.

Ce qui justifie la prière est d’abord l’Amour. La mission elle-même n’est justifiable que par l’Amour. Tout est relatif − même la mission− ! sauf l’Amour. Tout est relatif à l’Amour de Dieu qui est l’absolu qui ordonne et finalise tout.